Moi, Ivan, crocodile !

Texte Rene Gouichoux

Illustration Julia Neuhaus

Je mĠappelle Ivan. JĠai six ans et je suis un crocodile. JĠai lĠair dĠun petit garon, mais ˆ lĠintŽrieur, je suis un crocodile. ‚a ne se voit pas bien sžr, cĠest ˆ lĠintŽrieur. Je ne sors pas mes longues dents pour impressionner, non, je suis gentil. Mme trop gentil, dit la ma”tresse.

 

Dans la cour, des fois, les autres mĠencerclent. Ils me bousculent, ils crient dans mes oreilles. – HŽ, Toufou ! disent-ils. Ils me poussent, les uns, les autres, ils me font tourner sur moi-mme, ils rient trs fort, moi aussi je ris, jĠessaie de les attraper pour mĠamuser, mais ils crient plus fort, trop  fort.

 

Une fois, cĠŽtait lĠŽtŽ, il faisait chaud, trs chaud, un ŽtŽ de crocodile. JĠŽtais bien dans la cour ˆ marcher, je passais ma langue sur mes lvres, de gauche ˆ droite et de droite ˆ gauche. Ils ont dž croire que je voulais les Manger, que jĠavais faim. Je le jure, non, je ne voulais pas les manger. Juste jĠavais chaud et nous les crocodiles on fait a quand on a chaud, passer la langue sur nos babines.Mais, eux, ils se sont approchŽs par derrire, ils ont baissŽ mon short et je suis restŽ lˆ, au milieu de la cour, tout seul. La ma”tresse est arrivŽe, je nĠai rien dit.

 

JĠaurais pu les mordre, les autres, les mordre au cou, les dŽchiqueter mme, avec mes dents de croco.

 

ÇOh ! Ivan, Ivan, quĠest-ce quĠils tĠont fait !È a dit la ma”tresse en me prenant dans ses bras. Elle avait un parfum de maman, ma ma”tresse. JĠaime bien ma ma”tresse, elle me parle doucement, toujours trs doucement.

Moi, jĠai fait clic clac avec mes dents, je lĠai regardŽe en tendant mon corps de croco pour lui montrer que jĠŽtais trs fort mais que je ne voulais pas faire de mal.

 

ÇOui, je saisÈ a dit la ma”tresse, elle mĠa serrŽ doucement dans ses bras. ÒCalme-toi, IvanÓ a-t-elle murmurŽ. Elle a caressŽ lentement mon dos. Derrire, les autres se moquaient et faisaient des grimaces, la ma”tresse ne les voyait pas. JĠai ouvert de grands yeux pour leur montrer que jĠŽtais un croco, jĠai fait claquer mes dents, clac clac pour leur dire que sĠils avanaient...

 

ÒCalme-toi, IvanÓ a rŽpŽtŽ la ma”tresse. ÒArrte, Ivan, sĠil te pla”t.Ó

Elle me frottait le dos en rŽpŽtant : ÒChut, chut, a va aller.Ó Derrire, ils sĠavanaient toujours. JĠai fait : Ha ha ha ha ! ÇIvan, chut, ne sois pas bte.È  Les autres, ils Žtaient en rond et ils riaient.

Ils ont mis le doigt sur leur tempe et ils ont tournŽ la main. Ils croient que je ne sais pas ce que cela veut dire : a veut dire fou, Je ne suis pas fou, je suis un crocodile, ce nĠest pas pareil.

 

Quand je pars le soir, avec mon sac, je suis content de nĠavoir dŽvorŽ personne.  Alors bien sžr, dans la rue, je crie tellement je suis heureux dĠtre gentil comme ma maman mĠa dit. JĠai la chemise hors de mon pantalon et je fais des gestes, je leur montre que je suis le croco, que jĠaurais pu les dŽvorer mais que je ne lĠai pas fait.

Ils mĠappellent, de lĠautre c™tŽ de la rue : ÒHŽ, Toufou !Ó Je leur fais un signe de la main, eux aussi font un signe, le mme que dans la cour, sur la tempe, a les fait rire. Moi je me dandine, un peu, juste un peu, pour leur montrer que si je voulais... Et puis, Toufou, cĠest joli comme nom pour un crocodile. Le crocodile Toufou.

 

Ë la maison, bien sžr, maman le sait et mon pre aussi. Ils savent que je suis un croco et ils mĠaiment. Je leur raconte ma journŽe, ce que jĠai fait, je dis que je nĠai mangŽ personne, jĠai le droit de faire le geste du croco. Ma maman dit : ÒTu es Ivan, mon Ivan.Ó Et elle me prend dans ses bras.

 

AujourdĠhui, je suis restŽ debout derrire la vitre, la grande vitre de la classe. Je guette. Tout le monde sĠest assis. Pas moi. Moi, je suis un crocodile. Et je surveille la rivire, au milieu de la cour...

Et soudain ! Quelque chose bouge derrire les herbes, le long de la rivire.

 

Elle ne voit pas a, la ma”tresse, elle  parle aux enfants et les enfants lĠŽcoutent. Mais moi, je le vois. CĠest un crocodile qui rampe vers le bord. Oh, il ouvre sa gueule, il mĠappelle ! Je colle mon visage tout contre la vitre,  Je vagis comme lui. Je griffe le verre de mes doigts, je pousse un cri rauque, un cri de crocodile, je lĠappelle, je cogne sur le carreau, je suis lˆ copain je suis lˆ.

 

‚a y est,  il me voit, je tambourine contre le verre. La ma”tresse mĠaccroche par le bras. ÒIvan, mon chŽri, calme-toi Ivan, je tĠen prie.Ó Dans la cour, le croco se dŽtourne. Il sĠen va, il plonge dans la rivire. Ne tĠen va pas tout de suite, reviens croco, copain copain ! Mes ongles griffent la vitre. Reviens, reviens... Ë demain...

 

La ma”tresse mĠappelle. Elle tient un livre entre ses mains. ÒJĠai une histoire pour toi, Ivan.Ó  Je tourne la tte vers elle et je lui souris. Avec mes belles dents de crocodile. ÒTu viens ?Ó JĠarrive ma”tresse ! Je cours et je mĠinstalle sur le banc, au milieu des autres.